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missa iubilaea     messe du jubilé pour les églises françaises de Rome

shalom pour six voix d'hommes et ensemble de 20 musiciens (2024 - 25)

Au gré des rencontres et des coïncidences inatendues, des situations propices à la création peuvent parfois survenir. Lorsque le frère dominicain Renaud Escande, directeur des Pieux établissements de la France à Rome et à Lorette, rencontré alors que j’étais pensionnaire de la Villa Médicis, m’a parlé de son souhait de commander une messe des églises françaises pour le Jubilé 2025, je dois dire que j’ai d’abord été surpris. 

 

Écrire une messe aurait semblé banale dans les siècles précédents. L’histoire peut défiler : d’Ockeghem, Josquin Desprez, Machaut, Bach à Beethoven, cette pratique a été un des moyens communs de subsistance pour de nombreux compositeurs. Et bien qu’au XXème siècle la pratique s’est raréfiée, certains exemples brillants, comme le Requiem de Ligeti, ont su émergé.

 

À Rome, on pourrait croire que les traditions ne s’effacent pas si facilement, et que demander à un compositeur contemporain de s’atteler à cet exercice particulier ne devrait être finalement que le prolongement de ce qu’a été l’Église pour la musique depuis au moins un millénaire : en réalité, plus d’un siècle s’est écoulé sans qu’une telle commande n’ait lieu.

 

Ainsi, après quelques écoutes communes et discussions, nous nous sommes mis d’accord : évidemment devrais-je suivre les textes du missel romain, mais esthétiquement, j’y poursuivrais mes recherches musicales avec toute la liberté et le sérieux que je dois à mon art et à mes amis.

 

Structuralisme. 

Me plonger dans les textes sélectionnés à travers les siècles pour composer le missel romain a été l’une des première chose à faire. Les formidables poètes qui ont transmis ces textes y ont développé forme, structure, symbolisme et ambiguïté, dans les mots comme dans les traduction.

 

En témoigne le Gloria par exemple, dont le texte latin est traduit depuis le grec. Certaines ambiguïtés de la langue originale semblent avoir été levées à des fins bien autre que liturgiques:

       « paix sur la terre et aux hommes de bonne volonté » traduction actuelle

alors que la version grecque autoriserait également 

       « paix sur la terre et aux hommes, bienveillance »

 

dont on notera la subtile divergence, compréhensible peut-être dans le contexte du protestantisme apparaissant au moment du choix de cette traduction.

Autre exemple remarquable, la relation entre le Kyrie et l'Agnus Dei, ouvrant et fermant la messe, répond à des enjeux formels qui ne peuvent avoir été laissé au hasard. 

D'une concision absolu, deux mots Kyrie Eleison (AB) sont répétés trois fois, suivi de Christe Eleison, (CB) trois fois répété également, puis de nouveau Kyrie Eleison trois fois.

ab ab ab (A)

cb cb cb  (B)

ab ab ab (A)

Une forme en arche simple A B A, subdivisée en trois, et que l'on peut traduire Domine, miserere puis Christe miserere en latin soit « Seigneur prend pitié.» puis « Christ prend pitié »

Or le passage central du Gloria décrit les attributs du Seigneur, "Domine Deus, rex caelestis...." puis "Agnus Dei.... qui tolis pecata mundi". Ainsi non seulement le texte de l'Agnus Dei est énoncé dans le Gloria, mais il est explicitement dit que Kyrie est Agnus Dei.

"Agnus Dei, qui tolis pecata mundi" (a), suivi de "misere nobis"(b) signifiant eleison. Ces deux vers sont répétés deux fois, puis la dernière itération termine par "dona nobis pacem"(c). Donne nous la paix, comme conclusion. 

ab ab ac

Ainsi l'Agnus Dei semble être une réitération de la première strophe (A) du Kyrie.

*

 

Kyrie, Gloria, Allelouia, Sanctus, Agnus Dei.

 

Une missa brevis  dont les parties chantées le plus souvent a capella sont entrecoupées de transitions instrumentales. Je dois dire que les musiques vocales qui m’animent sont de tout genre, des polyphonies vocales corses, géorgiennes, albanaises, pygmées, aux voix monodiques quoique transformées des rappeurs et de nombreuses musiques pop. Et bien que très éloignées à priori, toutes ont comme qualité commune une attention très particulière au timbre. Il semble toujours brouillé ou ambigu : fusion des voix pour faire émerger une cinquième voix harmonique dans le chant sarde, utilisation du iodle dans les polyphonies pygmées, ou encore celle du vocodeur pour rendre mélodique/harmonique une voix parlé, du délai, du décalage de phase et autres effets électroniques dans les musiques pop pour en enrichir le timbre et en changer la couleur. 

 

Dans cette messe, deux trios vocaux sont au centre de l’attention. Mais chaque trio est traité comme une entité, où les individus les composant ne chantent jamais seul, leur voix séparées seulement d’une quinte juste supérieur et inférieur et fusionnant dans un stricte parallélisme homorythmique, créant ainsi ces timbre-harmonies au cœur de mes dernières œuvres. 

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Écriture.

Dans mes différentes recherches et dans ma plongée dans les messes médiévales, j’ai beaucoup écouté les interprétations très spéciales de l’ensemble Organum, mélangeant chanteur médiéviste et chanteur traditionnels corse ou d’ailleurs. Ainsi c’est tout naturellement que j’ai proposé à son fondateur Marcel Pérès de se joindre au projet. Préférant travailler à partir de mes brouillons graphiques et quasi neumatique plutôt que sur la version écrite en notation moderne, nous avons pu réfléchir ensemble à une notation musicale qui mêlerait oralité et écriture. C’est que si la mélodie n’est pas absente de cette nouvelle composition suivant les contours d’une modalité microtonale, mon travail se concentre avant tout sur le rythme et ses microvariations, alternant mises en boucle, arrêts et décalages. 

 

L’ensemble instrumental quant à lui comporte 20 musiciens. Réunissant ceux de mon groupe s·a·m·pl·e, ceux du groupe de percussion romain Ars Ludi, et l’organiste de Saint-Louis des Français, il est composé de vents (3 flûtes, 3 trompettes, 2 trombones et 1 trombone basse), de percussions, de cordes pincées (2 harpes, 1 clavecin), de l’orgue et d’enfin trois contrebasses. À l’exception de ces dernières, l’instrumentation est issue directement des instruments mentionnés dans l’Apocalypse de Saint Jean, tous en trio en référence au chiffre 3 si important dans la chrétienté. Mais aussi parce qu’in situ, l’orchestration suit le modèle acoustique des jeux de l’orgue, l’emploi des mêmes instruments dupliqués permettant de créer des configurations à la lisière entre bruit complexe et harmonie. 

 

Ainsi cette missa iubilaea s’est voulu ambitieuse, à la hauteur d’une année jubilaire, soutenue par la France et véritablement inscrite dans la ville de Rome. Écrite dans une Europe et un proche-orient en guerre entre Paris, Rome et les fenêtres sans limite d’espace ou de temps de nos écrans, elle a pour sous titre shalom en référence à ce moment délicat, où le message du Christ a semblé s’incarner en direct à la télévision en la personne d’une vieille femme offrant une poignée de main et un mot, « shalom », à l’un de ses ravisseurs, qui semble lui même décontenancé malgré sa cagoule et sa Kalachnikov, femme répondant à l’horreur non par l’horreur, mais par le respect et la considération, « shalom », signifiant à la fois paix et salut, comme seul salut face à la violence, comme celui qui avait demandé à son Père in excelcis de les pardonner car « ils ne savent pas ce qu’ils font ». (Luc 23) 

Je la dédie au frère Renaud Escande.

ce texte a été initialement écrit en décembre 2024 à Rome

puis corrigé en octobre 2025​

durée ~45’

commande des Pieux établissement 

de la France à Rome et à Lorette

pour l'église de Saint Louis des Français

initialement prévue les 15 et 16 mai 2025, la mort du pape François en avril de la même année a contraint les concerts à être décalés.

distribution

ensemble organum

s·a·m·pl·e

ars ludi

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samir.amarouch [@] gmail [.] com

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