Electronica-b
minor crush
pour 21 musiciens
CLAVECIN AMPLIFIÉ
GUITARE ÉLECTRIQUE
ACCORDÉONS MICROTONALS
PERCUSSIONS
PIANO & ENSEMBLE
HOMMAGE À MARK FELL
À MES AMIS ♡
À FLORENT LOUIS MEGUMI ALEXANDRU BRENDAN
BAHAA CHARLES
Électronique instrumentale.
La rencontre recherchée parfois, fortuite souvent, avec des musiques d’horizons nouveaux peut produire chez nous autres compositeurs des bifurcations esthétiques des plus précieuses et nous permettre d’ouvrir des portes sur des mondes encore inconnus. De même que les structures des trompes Banda-Linda révélées par Simha Arom ont révolutionné le langage de Reich ou de Ligeti, les recherches et obsessions de certains compositeurs des musiques électroniques m’ont ouvert à des considérations nouvelles. Dans Electronica-B Minor Crush pour 21 musiciens, ma réflexion porte sur la perception du rythme et plus précisément sur l’intrication entre timbre et harmonie par le biais de l’écoute de la durée. La réalisation en est simple : un seul accord de neuvième mineure est répété en homorythmie à constante intensité par le groupe principal (Accordéons, Clavecin, Piano, Guitare électrique, Percussions) et les seuls types d’impacts possibles sont les suivants : silence (pas d’impact), très court (staccato), très court accentué, tenue, tenue accentué. En réduisant à l’extrême les matériaux, l’écoute est alors centrée sur le seul paramètre qui varie : le rythme. Il faut noter que l’allongement de la durée d’un impact, ou bien l’intention de jeu (accent ou non par exemple) sont profondément significatifs et que plus généralement chaque paramètre dans le jeu instrumental se répercute sur la perception du rythme.
Suivant ces principes, la première partie de la pièce voit alterner deux états : A synchronisé (homorythmie) et B désynchronisé (hétérorythmie). Ce processus élémentaire d’alternance A B, où la durée de A décroit tandis que celle de B croit, converge vers une superposition de ces deux états marqué formellement par le choc résonant des cloches plaques. Une nouvelle possibilité apparaît alors : les accents du piano deviennent les points d’arrivée d’une ligne de basse arpégeant les notes de l’accord original à différents registres. Référence lointaine au disco funk alors même que la pulsation est absolument instable, cette ligne groove, se comprend par le corps et nous conduit vers la partie suivante.
Dans la deuxième partie, l’alternance prend la forme d’un balancement entre deux impacts, court long, et dont le second semble être le point d’arrivée du premier. Chaque fois différent, ces impacts se développent et s’enrichissent par l’orchestration en une explosion d’énergie. La pièce se poursuit ensuite avant de revenir à l’état initial, suivant une forme en arche A B transition A’. Mais cette fois, l’accord initial est transposé de nombreuses fois, créant une mélodie. La perception mélodicorythmique parachève de démontrer l’idée centrale : l’accord initial n’est plus entendu comme tel, l’ensemble fusionne en un seul instrument, hybride et indéfinissable, jouant une étrange mélodie prenant progressivement les caractéristiques structurelles d’un chant traditionnel ou de celui d’un oiseau.
Minor Crush.
Le mot crush est polysémique en anglais. Il évoque à la fois le béguin amoureux, l’écrasement ou encore l’action de serrer quelqu’un contre soi. Le titre s’est imposé de lui-même. Minor crush évoque le sentiment amoureux au passage d’un regard, d’un sourire, de l’envie de se prendre dans les bras, de l’écrasement du temps. Tout ce que cette période particulière a pu révéler. Ce béguin mineur, ou pour un accord mineur dont l’obsessivité peut être mise en parallèle à celle que l’on peut ressentir dans ces moments de rencontre, est à mettre en regard avec le sens de l’écrasement. L’écrasement d’une situation de vie, l’écrasement des sentiments, l’écrasement de la durée ressenti dans la variation du rythme ou du confinement.
Écrite d’avril à juillet 2020, Electronica B minor crush s’inscrit dans un contexte particulier où l’isolement fut imposé et les corps séparés. La pertinence d’écrire une pièce d’ensemble dans un tel contexte était alors bien difficile à évaluer. Mais à travers la volonté de travailler sur les microvariations rythmique, l’homorythmie nécessaire à la réalisation de l’idée de l’œuvre devint aussi une réponse à ce besoin de faire corps avec un groupe. Pour pouvoir jouer bien ensemble (on soulignera l’expression), sous la baguette toujours mouvante d’un chef dont le travail pour parvenir à les diriger est prodigieux, chaque musicien doit fusionner dans le son de l’autre et corréler son geste à celui des autres. Les délicates accélérations et ralentissements ou les changements subites de la pulsation ne peuvent qu’être senti dans une réelle synergie de groupe.
Notre temps, nos expériences de vie irriguent nos imaginaires. Et les influences que nous subissons, bien que sans frontière de genre ou de géographie, donnent pourtant naissance à des esthétiques singulières et bien définies dans l’espace-temps. Les créateurs s’approprient le réel et tentent de façonner le futur. Nombre de mes ami.e.s s’y emploient. Cette pièce leur est dédiée. ■